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Le Bestiaire ou Cortège d\'Orphée
poesia [ ]

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di [Guillaume_APOLLINAIRE ]

2009-03-07  | [Questo testo si dovrebbe leggere in francais]    |  Inserito da Guy Rancourt



À Élémir Bourges.


Orphée

Admirez le pouvoir insigne
Et la noblesse oblige de la ligne :
Elle est la voix que la lumière fit entendre
Et dont parle Hermès Trismégiste en son Pinambre.

La tortue

Du Thrace magique, ô délire !
Mes doigts sûrs font sonner la lyre.
Les animaux passent aux sons
De ma tortue, de mes chansons.

Le cheval

Mes durs rêves formels sauront se chevaucher,
Mon destin au char d'or sera ton beau cocher
Qui pour rênes tiendra tendus à frénésie,
Mes vers, les parangons de toute poésie.

La chèvre du Thibet

Les poils de cette chèvre et même
Ceux d'or pour qui prit tant de peine
Jason, ne valent rien au prix
Des cheveux dont je suis épris.

Le serpent

Tu t’acharnes sur la beauté.
Et quelles femmes ont été
Victimes de ta cruauté !
Ève, Eurydice, Cléopâtre;
J’en connais encor trois ou quatre.

Le chat

Je souhaite dans ma maison :
Une femme ayant sa raison,
Un chat passant parmi les livres,
Des amis en toute saison
Sans lesquels je ne peux pas vivre.

Le lion

Ô lion, malheureuse image
Des rois chus lamentablement,
Tu ne nais maintenant qu'en cage
À Hambourg, chez les Allemands.

Le lièvre

Ne sois pas lascif et peureux
Comme le lièvre et l'amoureux.
Mais que toujours ton cerveau soit
La hase pleine qui conçoit.

Le lapin

Je connais un autre connin
Que tout vivant je voudrais prendre.
Sa garenne est parmi le thym
Des vallons du pays de Tendre.

Le dromadaire

Avec ses quatre dromadaires
Don Pedro d’Alfaroubeira
Courut le monde et l’admira.
Il fit ce que je voudrais faire
Si j’avais quatre dromadaires.

La souris

Belles journées, souris du temps,
Vous rongez peu à peu ma vie.
Dieu ! Je vais avoir vingt-huit ans
Et mal vécus, à mon envie.

L'éléphant

Comme un éléphant son ivoire,
J'ai en bouche un bien précieux.
Pourpre mort !... J'achète ma gloire
Au prix des mots mélodieux.

Orphée

Regardez cette troupe infecte
Aux mille pattes, aux cent yeux :
Rotifères, cirons, insectes
Et microbes plus merveilleux
Que les sept merveilles du monde
Et le palais de Rosemonde !

La chenille

Le travail mène à la richesse.
Pauvres poètes, travaillons !
La chenille en peinant sans cesse
Devient le riche papillon.

La mouche

Nos mouches savent des chansons
Que leur apprirent en Norvège
Les mouches ganiques qui sont
Les divinités de la neige.

La puce

Puces, amis, amantes même,
Qu’ils sont cruels ceux qui nous aiment !
Tout notre sang coule pour eux.
Les bien-aimés sont malheureux.

La sauterelle

Voici la fine sauterelle,
La nourriture de saint Jean.
Puissent mes vers être comme elle,
Le régal des meilleures gens.

Orphée

Que ton cœur soit l’appât et le ciel, la piscine !
Car, pécheur, quel poisson d’eau douce ou bien marine
Égale-t-il, et par la forme et la saveur,
Ce beau poisson divin qu’est JÉSUS, Mon Sauveur ?

Le dauphin

Dauphins, vous jouez dans la mer,
Mais le flot est toujours amer.
Parfois, ma joie éclate-t-elle ?
La vie est encore cruelle.

Le poulpe

Jetant son encre vers les cieux,
Suçant le sang de ce qu'il aime
Et le trouvant délicieux,
Ce monstre inhumain, c'est moi-même.

La méduse

Méduses, malheureuses têtes
Aux chevelures violettes
Vous vous plaisez dans les tempêtes,
Et je m'y plais comme vous faites.

L’écrevisse

Incertitude, ô mes délices
Vous et moi nous nous en allons
Comme s’en vont les écrevisses,
À reculons, à reculons.

La carpe

Dans vos viviers, dans vos étangs,
Carpes, que vous vivez longtemps !
Est-ce que la mort vous oublie,
Poissons de la mélancolie.

Orphée

La femelle de l’alcyon,
L’Amour, les volantes Sirènes,
Savent de mortelles chansons
Dangereuses et inhumaines.
N’oyez pas ces oiseaux maudits,
Mais les Anges du Paradis.

Les sirènes

Saché-je d’où provient, Sirènes, votre ennui
Quand vous vous lamentez, au large, dans la nuit ?
Mer, je suis comme toi, plein de voix machinées
Et mes vaisseaux chantants se nomment les années.

La colombe

Colombe, l’amour et l’esprit
Qui engendrâtes Jésus-Christ,
Comme vous j’aime une Marie.
Qu’avec elle je me marie.

Le paon

En faisant la roue, cet oiseau,
Dont le pennage traîne à terre,
Apparaît encore plus beau,
Mais se découvre le derrière.

Le hibou

Mon pauvre cœur est un hibou
Qu'on cloue, qu'on décloue, qu'on recloue.
De sang, d'ardeur, il est à bout.
Tous ceux qui m'aiment, je les loue.

Ibis

Oui, j’irai dans l’ombre terreuse
Ô mort certaine, ainsi soit-il !
Latin mortel, parole affreuse,
Ibis, oiseau des bords du Nil.

Le boeuf

Ce chérubin dit la louange
Du paradis, où, près des anges,
Nous revivrons, mes chers amis,
Quand le bon Dieu l’aura permis.


Deux quatrains jugés trop libres ont été écartés du Bestiaire.
Il s’agit de « Le Condor » (remplacé par « Le Serpent ») et « Le Morpion ».

Le condor

Cet oiseau s’appelle condor
Et que les filles ne l’ont-elles !
Savez-vous quoi ? Il n’est pas d’or
L’anneau merveilleux d’Hans Carvel.

Le morpion

Imitons la ténacité
De cet insecte qu’on méprise
Dames, messieurs qui vous grattez
Il ne lâchera jamais prise.


Deux autres quatrains « Le Singe » et « L’Araignée » ont été publiés en 1919 dans « Les Veillées du Lapin agile ».

Le singe

Lorsqu’à la cave sa main serve
Porte la viande de conserve,
On peut sans fouler la méninge
Dire : l’homme descend du singe.

L’araignée

On sait même chez le Papou
Que la trop crédule Araignée
S’est avec un rasoir saignée
Pour les yeux enjôleurs du Pou.

(Guillaume Apollinaire, Le Bestiaire ou Cortège d’Orphée, 1911)

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